Eckbert le Blond : un Volksmärchen “artiste” de Ludwig Tieck
Résumé
Parmi les premiers recueils de contes édités sous le titre de « populaires » en Allemagne figurent les trois tomes des Volksmährchen der Deutschen que fait paraître Johann Karl August Musäus entre 1782 et 1786 ainsi que les trois volumes des Volkmährchen publiés comme en écho par le jeune Ludwig Tieck une dizaine d’années plus tard, en 1797.
Le travail de Musäus s’inscrivait pleinement dans l’Aufklärung. L’auteur assume dans sa préface une réécriture visant à « affiner » des récits jugés trop grossiers pour être donnés au public sans apprêts. D’autre part, s’il défend le merveilleux, il le met aussi à distance avec toute l’ironie des Lumières.
Tieck semble se couler dans le sillage de Musäus, reprenant en 1794 les Straußfedern, almanach littéraire lancé par ce dernier et publié par Friedrich Nicolai, l’un des principaux éditeurs de l’Aufklärung berlinoise. Mais dans ses « contes populaires » recomposés, le jeune écrivain subvertit l’esthétique défendue par ses aînés.
Expérimentant des variations de forme et de registre à partir de traditions diverses – les épopées médiévales reprises dans les Volkbücher se trouvent convoquées au même titre que les « contes de nourrices » – Tieck contribue à façonner le genre nouveau du Kunstmärchen, conte artiste dont Eckbert le Blond est souvent cité comme le premier exemple romantique. Les Volksmährchen n’ont jamais été réédités sous leur forme d’origine, mais Tieck va reprendre, amplifier et commenter son projet dans Phantasus, recueil contemporain des Kinder- und Hausmärchen des frères Grimm (1812) où paraissent aussi d’autres Kunstmärchen célèbres de l’auteur dans un contexte cette fois pleinement romantique.
L’étude d’Eckbert le Blond permet de saisir le basculement esthétique qui se joue dans cette réinvention du conte, en même temps qu’une inflexion particulière donnée au merveilleux, soudain teinté d’une inquiétante étrangeté qui fera bientôt école sous le nom de fantastique.