La transformation numérique du service public de l’emploi présente la particularité d’associer désormais étroitement les outils numériques à la réalisation des droits sociaux dans une dimension de reconfiguration systémique du processus de gestion des demandeurs d’emploi. Le projet DIGEP’S a ainsi fait le choix d’étudier à titre exclusif ce que le déploiement et l’usage des technologies numériques font à la relation entre Pôle emploi et les demandeurs d’emploi et in fine aux droits des demandeurs d'emploi et à leur réalisation. L’hypothèse de recherche était double : les outils numériques modifient les modalités d’accès aux prestations sociales tout autant qu’ils modifient la substance des droits dont ils sont le support. Afin de vérifier cette hypothèse, la recherche s’est concentrée sur les modifications introduites dans la mission d’accompagnement des demandeurs d’emploi, mission qui est centrale depuis l’adoption de la loi de décembre 2023 qui a substitué France Travail à Pôle emploi. À cette fin, le projet livre un matériau d’analyse important sur la transformation numérique de Pôle emploi (étude du paysage juridique et institutionnel, réalisation d’entretiens, d’inspections ergonomiques, d’enquête qualitative par la voie d’un questionnaire auprès de demandeurs d’emploi), puis procède à une étude juridique approfondie de ce que produit la reconfiguration digitale sur le droit à l’accompagnement, analyse qui a été enrichie grâce à une confrontation des résultats avec des chercheurs en sociologie. Deux résultats peuvent ainsi être mis en avant. En premier lieu, le projet a permis de mettre en lumière une nouvelle forme de modélisation par le numérique de l’accompagnement des demandeurs d’emploi : les potentialités et les fonctionnalités des outils digitaux sont les canaux de mise en place d’une gestion rationalisée et optimisée des demandeurs d’emploi aux fins de tri, de classement et d’affectation dans différents parcours d’accompagnement. Ce modèle met l’accent sur l’autonomie des demandeurs d’emploi et l’activation de leurs démarches pour améliorer leur employabilité. Dans ce système digital d’accompagnement, le diagnostic posé sur l’autonomie-capacité du demandeur d’emploi à effectuer seul des démarches de recherche d’emploi a acquis une place centrale car il permet de trier et de classer la « file » des demandeurs d’emploi en les affectant dans une des modalités de l’accompagnement prédéterminées par l’institution. En second lieu, la recherche a caractérisé un changement de paradigme en matière d’accompagnement emportant avec lui une « reconfiguration activationnelle » des droits sociaux. Désormais, l’accompagnement repose sur un paradigme déterministe lié à l’usage d'algorithmes de profilage dans le cadre du diagnostic personnalisé. Ce n’est pas la règle de droit qui est formellement modifiée, mais son sens en contexte digital d’application. L’ordre numérique configure nouvellement le sens à donner à la recherche active d’un emploi qui est conçue comme un travail sur soi contrôlé par la capacité à fournir des traces numériques d’activité. L’accompagnement a une dimension prescriptive et une visée d’évaluation du comportement du demandeur d’emploi à l’aune de l’observance. L'objet de l'obligation du demandeur d'emploi porte davantage sur son implication dans le parcours que sur la recherche d'emploi elle-même. Cela ouvre grand la porte au déploiement d’une logique d’accompagnement-contrôle dans la mesure où tant l’accompagnement par le numérique que la transformation numérique de Pôle emploi ont créé un environnement rendant techniquement possible le traçage numérique d’une partie de l’activité « d’activation » du demandeur d’emploi.