En 1789, les Révolutionnaires n'ont pas suivi la proposition de Thouret de créer 720 communes. Ils lui ont préféré le projet Mirabeau de faire épouser autant que faire ce peu à ces dernières les frontières des 44 000 communautés issues de l'Ancien régime. La question se pose toutefois désormais : les réformes actuellement en cours de l'administration communale ne reviennent-elles pas à consacrer le projet Thouret ? La volonté de rationaliser la carte intercommunale et de lutter contre une sorte de néo-féodalisation des municipalités est révélatrice d'indéniables avancées de ce dernier. Mais les mesures parallèlement prises pour sauvegarder l'indivisibilité de la République et continuer de faire des communes le premier échelon de proximité de l'administration locale témoignent dans le même temps d'une certaine résistance du projet Mirabeau. Reste à savoir si les réformes ultérieures n'auront pas raison de l'équilibre pour l'instant sauvegardé entre ces deux conceptions de l'organisation communale.

L'éclatement communal favorise la « dissipation des deniers communs » en même temps qu'il encourage « les dettes élevées au-dessus des moyens » (Archives parlementaires, t. 9, p. 202).

Cette affirmation rappelle que la mondialisation n'a pas seulement pour effet de redessiner les frontières entre les Etats ; elle bouleverse aussi leurs délimitations intérieures qui sont aussi des frontières selon le Trésor pour qui l'expression renvoie au sens large à toutes les limites qui « déterminent l'étendue d'un territoire ». Les revendications écossaises et catalanes montrent que ces bouleversements internes peuvent être motivés par des revendications identitaires. Mais la fusion au sein de la République des 22 régions héritées de 1982 en 13 nouvelles régions opérée par la loi du 16 janvier 2015 (validée par CC 709 DC du 15.1.2015) et les débats récurrents sur la suppression des départements montrent qu'elle peut aussi être motivée par des considérations purement économiques. Si « une simplification ambitieuse du mille-feuille (…) territorial » s'impose dans la perspective néolibérale actuelle en France, c'est en effet, comme l'explique un rapport récent de l'OCDE, pour « augmenter l'efficacité des dépenses » publiques « et, à terme, (…) dégager des économies substantielles » susceptible d'attirerou de fidéliser !les investissements étrangers en entraînant un allégement de la fiscalité des entreprises (OCDE, France 2015, OCDE mars 2015, p. 15). De ce point de vue, la fusion des régions et les incertitudes qui planent sur l'avenir des départements ne sont que l'arbre qui cache la forêt de la réforme en cours de la structure communale. C'est le premier mérite de cette citation de nous le rappeler.

Son second mérite est de nous faire prendre conscience du caractère ancien de cette problématique. Sans doute fait-elle écho aux prises de position de la majorité issue des urnes de 2012 (V. « Exposé des motifs du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles », Doc. S. 2013-445. 25) comme de la précédente au pouvoir à partir de 2007 (V. « Exposé des motifs du projet de loi de réforme des collectivités territoriales », Doc. S. 2009-60. 21). Mais elle a plus de deux cents ans, puisque l'auteur de cette déclaration n'est autre que Jacques-Guillaume Thouret.

Elle est en effet extraite de son « Rapport au comité de Constitution » sur l'organisation administrative du pays, dans lequel il proposait de « partager la France » en « 720 communes de trente-six lieues carrées » subdivisées en « 6 400 cantons » (p. 203). Cette actualité n'est à la réflexion pas aussi surprenante. La mondialisation est en effet un processus à l'oeuvre depuis le XVIe siècle, même s'il s'est accéléré à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Surtout, il ne faut pas oublier qu'une des causes immédiates de la Révolution française tient à la crise